Un lieu en noir et blanc

Troisième et dernier moment

Autour du poème de Jean Tardieu, la fin du poème dans Chants perdus

( L'accent grave et l'accent aigu)

LA FIN DU POEME

C'est la fin du poème. Épaisseur et transparence, lumière et misère - les jeux sont faits.
On avait commencé par la rime pour enfants. On avait cherché des ondes de choc dans d'autres rythmes. On avait gardé le silence, ensuite murmuré : on cherchait à se rapprocher du bruit que fait le coeur quand on s'endort ou du battement des portes quand le vent souffle. On croyait dire et on voulait se taire. Ou faire semblant de rire. On voulait sortir de son corps, se répandre partout, grandir comme une ombre sur la montagne, sans se perdre, sans rien perdre.
Mais on avait compté sans la dispersion souveraine. Comment feindre et même oublier, quand nos débris sont jetés aux bêtes de l'espace, - qui sont, comme chacun sait, plus petites encore que tout ce qu'il est possible de concevoir. Le vertige secoue les miettes après le banquet.

Jean Tardieu

 

J'avais commencé par chercher les mots, les paroles, les verbes, les adjectifs.
Les plus beaux, les plus forts, les plus en couleur, pour dire, pour écrire ma pensée.
Je croyais exprimer ainsi un souffle de moi. Assembler , corriger, effacer pour communiquer avec précision.
Mais, peu à peu, ma pensée que je voulais contrôler m'a dit, peut être, laisse tout cela.


Et mon coeur s'est mis à parler.

Antoine

 

J'ai commencé par me demander où j'étais, où j'en étais de mes recherches. J'ai cru nécessaire de cueillir les indices à même la terre ; sol non plus ferme, meuble, mouvant, sable de mer. J'ai douté de cette démarche, je voulais faire naître à la mort les parents rejetés, extorqués par la force soudaine et souveraine qui m'animait alors.
J'ai cru régler mon sort et ce fut sans comprendre que je me perdais moi-même dans ce décor fondu comme braise au foyer, noyé dans le liquide amniotique de l'univers, particule anonyme, globule indistinct, étrange, être - ange.

Pascale

 

 

J'avais commencé par imaginer le chaos.
J'avais cherché la cassure, la fêlure des phrases pour qu'elles soient fracas.
J'avais gardé la discordance, la disharmonie. Je cherchais à me rapprocher de cet univers où même le néant paraît encore trop imparfait.
J'entendais et je voyais la scène, je sentais la folie de cette ronde sempiternelle.
Je voulais un tout confus, sans queue ni tête mais sans perdre l'âme de ce texte.
Comment briser ses repères ? Ne pas penser déchirer, coller, sans savoir vraiment. Peut être est-ce là l'idée elle-même : Se surprendre même avec l'exaspération de trouver cette « oeuvre » imparfaite, plein de vide équivoque peut être, mais où le désordre est tout de même maître.

Séverine

Comment commencer ?J'ai balayé des images, des odeurs
Et pour me poser dans l'éternité
J'ai cherché vers le passé.

J'aurais voulu effacer
Mes clichés familiers.
Et pour ne pas m'égarer,
Sur la pellicule j'ai fixé
Des « choses »... sans les analyser
Et je me suis perdue dans les couleurs,
Les odeurs
Les petites peurs.

Difficile de dire l'apaisement,
Une possible sérénité...

Quand on a rajouté à mes mots
D'autres images, d'autres rivages,
J'ai retrouvé mes traces
Dans des représentations
Qui pourraient viser l'abstraction.

Et puis,
Le tableau qu'il a fallu partager !
Ne pas se laisser &endash; happer
Détourner le sens,
Je voulais éviter d' Expliquer,
Mais je devais Dire
Alors j'ai cassé
Fragmenté,
Déplacé

Et je me suis ordonnée
De me cramponner
Pour décoller

A la fin, le texte est encore bien arrimé au papier

Encore un effort
La prochaine fois, je pourrai tout révéler.

Catherine

J'ai commencé par écouter, sans entendre... obnubilée par les mots ...qui partaient aussitôt arrivés à mes oreilles.

Je ne comprenais pas , plus rien dans un souci de trop faire bien.
J'avais douté de cette magie qui fait naître les mots.

Se connaît-on vraiment ?

J'oscillais entre répondre à une consigne à la respecter et cette liberté qui jaillissait en moi, d'aligner les mots comme bon me semblait.

Je regardais la porte et en même temps mes pieds se cramponnaient au sol. Ma force créatrice et inconsciente me retenait.

Cette angoisse de n'être pas me terrorisait.
Le trou noir, la page blanche puis la main qui part, malgré soi, et jette sur le papier blanc les mots qui surgissent malgré moi.

Jacqueline

 

C'est l'issue d'une production.
Quelle aventure, quel voyage intérieur pour arriver là !
On avait commencé par se perdre dans le labyrinthe de ses pensées. On se voulait poète, inspiré, la perle de nacre qui colore l'océan. On cherchait, puis les autres avaient couché leurs mots sur nos aspirations, leurs interrogations, sur nos émotions.
Alors la perle s'était murée dans sa coquille, il fallait la faire renaître sans matériel, ni aide...
Les mots restaient les nôtres mais sonnaient différemment. La résonance des uns bousculait celle des autres et tout devait cependant aboutir à la création.
D 'un écrit qu'on croyait anonyme, de ce partage collectif, on s'est pourtant rapproché de l'essentiel &endash; de soi-même.

Fabienne

C'est la fin du voyage
Finissez paysages....
Je fais donc mes valises
Pour voir la tour de Pise
Avec son air penché.
J'ai encore à chercher
Les lieux du renouveau
Ou bien continuer
A faire des ronds dans l'eau.
Adieu phare de Cordouan
Droit comme un « i »
Continue bien sans moi
A peindre les étoiles
Je l'aime bien cette tour de Pise.
Elle penche.

Grosses bises de Pise.

Jean Pierre